Reliures contemporaines : des œuvres d’art à part entière ?
Text of a paper given by Pascal Fulacher at the conference of the Association of European Printing Museums, After printing: bookbinding as cultural heritage, Imprenta Municipal – Artes del Libro, Madrid, (Spain), 24-26 May 2018.
Pascal Fulacher, Atelier du livre d’art et de l’estampe, Imprimerie nationale, France
C’est dans les années 70 qu’apparaît en France un intérêt significatif de la part des institutions pour la reliure d’art contemporaine. La bibliothèque nationale a ouvert la voie en 1977, suivie au début des années 90 par la Bibliothèque historique de la Ville de Paris qui donna une réelle ampleur à ce mouvement. Bien d’autres bibliothèques ont alors commencé à commander des reliures à des artistes relieurs de divers horizons et à organiser des expositions de reliures d’art. Un certain nombre de questions se sont alors posées à celles-ci : que faire relier ? Pour quelles raisons ? Sur quels critères s’appuyer pour choisir tel relieur et telle reliure ? Dans quelle mesure peut-on orienter le relieur vers une technique et une esthétique plus ou moins précise ? Quel est le coût d’une reliure de création ? Comment conserver et exposer de tels objets parmi les livres et autres objets de collection ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre, ce qui nous conduira à nous interroger sur le statut de la reliure d’art contemporaine au sein des collections patrimoniales et de son rapport à l’art contemporain.
C’est grâce aux bibliophiles que la reliure artistique a pu gagner ses lettres de noblesse.
Si les grands bibliophiles des siècles passés ne collectionnaient pas les reliures pour elles-mêmes, ils recherchaient toutefois des livres bien reliés, aux reliures joliment décorées, en harmonie avec les arts décoratifs de leur temps.
C’est au XVIe siècle, sous la Renaissance, que la reliure artistique est née en France grâce à des bibliophiles comme Jean Grolier, qui avait pris goût à commander à des artisans relieurs de talent des reliures où la totalité de la surface des plats est structurée selon un projet artistique concerté. Jusqu’alors, les décors des reliures ne formaient qu’une juxtaposition de formes élémentaires.
Charles Nodier, écrivain et académicien, mais aussi bibliothécaire dans la première partie de sa vie (pour le Comte d’Artois, future Charles X), est le premier dans la première moitié du XIXe siècle à avoir contribué à la reconnaissance des relieurs en tant qu’artistes à part entière. Son relieur préféré, Joseph Thouvenin l’aîné, relia pour lui environ 300 ouvrages. Une soixantaine d’entre eux comportent la particularité d’être ornés, sur le plat supérieur des armoiries du commanditaire, et sur le plat inférieur de la signature du relieur. Nodier publia nombre de notices, chroniques, livres et discours sur la bibliophilie et la reliure, et fut à l’origine de la création du Bulletin du Bibliophile qui contribua à stimuler l’activité bibliophilique. Son mérite aura été de faire pénétrer le goût des livres rares, des belles éditions et des belles reliures parmi un public qui jusque là ne s’en préoccupait guère.
Il faudra toutefois attendre les premières décennies du siècle suivant pour voir apparaître et se développer des expositions consacrées à la reliure artistique. Celles-ci sont concomitantes de l’apparition des premières reliures modernes de création et des premiers décorateurs dans l’art de la reliure (André Mare, Pierre Legrain, Paul Bonet…).
Les belles reliures étaient jusqu’alors peu exposées, si ce n’est dans des expositions universelles ou des expositions du travail où certaines avaient commencé à apparaître au XIXe siècle, telles que celles de 1878 et 1900 où Marius-Michel se distingua avec ses reliures art nouveau.
L’exposition des Arts décoratifs de 1925 qui vit le triomphe du style Art déco y compris dans la reliure avec Pierre Legrain et F.-L. Schmied comme chefs de file, révéla au public un art encore bien méconnu mais alors en pleine effervescence. Le grand couturier Jacques Doucet, grand collectionneur d’ouvrages et amateur d’objets décoratifs, avait lui-même pressenti dès 1916, la dimension décorative de la reliure et contribua à en faire un art visuel en confiant au jeune Pierre Legrain, l’assistant de Paul Iribe, la reliure des livres de sa bibliothèque. Révélé lors de l’exposition du Salon de la Société des artistes décorateurs, où furent présentés quelques-unes de ses 360 reliures décorées, Legrain acquit dès lors une vraie notoriété qui allait contribuer à ouvrir des perspectives insoupçonnées à cet art encore très confidentiel.
Du côté des institutions, il fallut encore attendre quelques décennies, avant qu’une importante bibliothèque, la Bibliothèque nationale, organise la toute première exposition consacrée à des relieurs d’art vivants en 1977 : « Trois relieurs contemporains à la Bibliothèque nationale [Monique Mathieu, Georges Leroux et Jean de Gonet] ». La reliure d’art était alors entrée dans une nouvelle ère : celle de la muséographie. De même que les écrits qui font l’objet depuis longtemps de multiples expositions (depuis 1937 précisément où un musée de la littérature est constitué dans le cadre de l’Exposition internationale des arts et techniques), les reliures seront dès lors de plus en plus exposées, devenant par là même des œuvres muséales.
Au début des années 90, la Bibliothèque historique de la ville de Paris dirigée alors par Jean Dérens, se distingue à son tour, en commandant vingt-cinq reliures artistiques à vingt-cinq relieurs européens dont dix-huit français et sept étrangers (trois Belges, deux Suisses, un Espagnol et un Anglais) sélectionnés par un comité scientifique. Ces reliures firent l’objet d’une importante exposition au Couvent des Cordeliers à Paris en 1992.
L’exposition « Reliures d’art 1992 » fut la première de toute une série d’expositions de reliures contemporaines, monographiques celles-ci, organisées par la Bibliothèque historique de la Ville de Paris jusqu’en 2008. Jamais aucune autre institution française n’était allée aussi loin dans la promotion de la reliure contemporaine en organisant des expositions de relieurs vivants, avec d’importants catalogues à l’appui, enfin en mettant en place un rendez-vous annuel, « Ephémère », permettant des rencontres entre relieurs, bibliophiles et conservateurs. « Ephémère » réunit ainsi depuis plus de vingt ans quelque 25 relieurs français, belges et suisses, triés sur le volet, venus présenter leurs dernières créations.
Autre événement d’envergure autour de la reliure contemporaine, celui organisé en 1997 à l’initiative de la Fondation Banques CIC pour le livre et du ministère de la Culture, avec le soutien du ministère de l’Artisanat, de la Chambre syndicale nationale de la reliure et la Mairie de Paris, Métiers d’art en bibliothèque. Cette opération qui visait à soutenir la transmission des savoir-faire, indispensables à la conservation et à la restauration d’un patrimoine écrit constitutivement fragile, a réuni dix projets muris en commun par dix conservateurs et dix maîtres-artisans relieurs dûment sélectionnés sur concours. La reliure d’art contemporaine était à l’honneur à travers cette opération puisque sur les dix œuvres réalisées, sept ont abouti à la création d’une reliure à décor, tandis que les trois autres ont consisté à remettre la reliure ancienne dans son état d’origine. Livre d’heures, journal, atlas, correspondance, livre d’artiste et ensemble littéraire, étaient au programme de cette opération inédite et originale dont le point d’orgue fut une importante exposition présentée à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. « Toutes les pratiques artisanales mises en œuvre pour fabriquer un livre sont aussi, à un titre ou à un autre, des pratiques artistiques » écrivait Michel Pastoureau, directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études dans la préface du catalogue de l’exposition. « Toujours présent dans le livre, l’art l’a également toujours été dans les bibliothèques depuis le Moyen-Âge » poursuit-il. Et il est heureux de voir les bibliothèques poursuivre cette tradition en développant une politique d’acquisition d’œuvres d’art et en ouvrant leurs portes aux artistes contemporains, dit-il en substance.
Autre opération qui marqua le début des années 2000 dans le domaine de la reliure contemporaine, enfin reconnue comme un art à part entière, celle proposée par la bibliothèque des arts décoratifs avec le soutien du Centre national des arts plastiques. Un ensemble de livres ayant pour thèmes la mode, les jardins, l’urbanisme, l’histoire de l’art ou encore le décor, reflétant la spécificité du fonds de la bibliothèque des arts décoratifs, a été réuni et proposé à sept relieurs représentatifs de la reliure française contemporaine : Alain Devauchelle, Sün Evrard, Cécile Huguet/Bruno Broquet, Daniel Knoderer, Florent Rousseau, Véronique Sala-Vidal et Hélène Ségal. Une totale liberté fut laissée aux relieurs choisis. Un jury constitué de personnalités du monde du livre et des arts, désigna la lauréate sur des critères d’originalité, de créativité, de maîtrise technique et de cohérence avec le contenu de l’ouvrage. Ce fut Sün Evrard à qui fut décerné le prix qui s’accompagnait d’une seconde commande de reliure à décor sur l’un des livres emblématiques de la bibliothèque (Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée, de Guillaume Apollinaire).
Les actions d’associations comme Les Amis de la Reliure Originale créée en 1946, Les Amis de la Reliure d’Art lancée en 1982, ou Appar (anciennement Air Neuf) d’origine plus récente ont également pour leur part beaucoup œuvré pour jeter des ponts entre artistes relieurs et institutions, suscitant expositions, concours, journées d’étude, colloques, publications…
Si les musées, de par la nature de leurs collections qui comptent peu de reliures d’art, programment rarement des expositions de ce genre (le Musée d’art royal de Mariemont fait figure d’exception en présentant en 1999, grâce à l’association de relieurs AIRneuf, des reliures de création contemporaine parmi ses collections d’Antiquités et d’objets d’art d’Orient et d’Extrême-Orient), les bibliothèques sont quant à elles de plus en plus nombreuses à accueillir et à co-organiser, avec le soutien de leur municipalité et parfois du Département et de la Région, des manifestations autour de la reliure contemporaine, tout en passant commande à des artistes relieurs en activité : mentionnons celles de Strasbourg, Nancy, Orléans, Montpellier, Avignon, Versailles, Reims, Auxerre, Metz, Limoges, Riom, Albi… La démarche est toutefois relativement récente et remonte aux années 1980-90.
Pour une institution telle qu’une bibliothèque, le choix de faire relier par un artiste un ou plusieurs livres peut découler de plusieurs raisons :
- protéger et embellir un ouvrage ou une série d’ouvrages,
- prolonger ou compléter un fonds de reliures existant (anciennes et/ou modernes),
- donner une nouvelle vie à des ouvrages considérés comme importants mais quelque peu tombés dans l’oubli,
- valoriser les ouvrages d’une collection afin d’attirer le regard sur ceux-ci et les distinguer des autres,
- soutenir la création contemporaine et les métiers d’art,
- donner une dynamique à une politique d’acquisitions et d’expositions.
Les ouvrages confiés à un relieur d’art ne sont pas forcément récents. Ils peuvent être anciens voire très anciens. Ils peuvent également relever de différents domaines : si les livres de littérature et de poésie, tout comme les livres de peintre et d’artiste sont les plus souvent reliés par les artistes relieurs, ils n’ont pas de monopole en la matière. Ainsi, sur les 25 ouvrages reliés en 1992, et présentés lors de l’exposition organisée par la Ville de Paris, les relieurs ont eu à choisir parmi les ouvrages et documents les plus divers (cahier d’écolier, lettre d’indulgence, ouvrages anciens, livres de poésie, romans, revues d’art, livres illustrés, livres de peintres, livres d’artiste…) allant du XVIe siècle à 1992.
Autre exemple, celui de la commande publique lancée en 2002 sur des ouvrages conservés au sein de la bibliothèque des Arts décoratifs à Paris. La diversité des ouvrages choisis, publiés entre 1911 et 1937, dont la spécificité était bien définie (celle des arts décoratifs) est à souligner : l’art des jardins, les décors de théâtre, l’architecture, la mode… tout autant que la nature de ces livres, ni précieux, ni numérotés, et donc pas spécialement bibliophiliques.
Plus récemment, en 2016, la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier a fait relier un ouvrage de médecine de 1541.
Il n’est donc pas de livre qui ne puisse recevoir une reliure de création contemporaine, à condition que celle-ci ne dénature pas l’ouvrage et respecte à la fois son contenu et son architecture, et qu’elle soit réversible comme il se doit de nos jours dans le domaine de la reliure artistique.
La tendance esthétique de la reliure actuelle est minimaliste et peut donc s’adapter à n’importe quel type d’ouvrage. Les décors, certes parfois époustouflants, mais plus ou moins chargés du siècle dernier, n’ont plus cours aujourd’hui. On a même vu apparaître et se développer dans les bibliothèques depuis ces dernières années des reliures de conservation. Celles-ci visent à préserver au mieux le papier du livre, et sont donc sans endossure, sans rognage des pages et des tranches, ni collages irréversibles, ni peau en contact direct avec le papier du livre. Une couture solide sur rubans afin d’éviter l’encollage, des plats souvent souples ou semi-souples sont les caractéristiques de ces reliures qui en outre ont l’avantage d’être peu coûteuses. Adaptées pour des documents peu épais, comme des livrets et de petits fascicules, elles sont particulièrement rapides à réaliser. Ainsi, certains relieurs les proposent-ils aisément aux bibliothèques pour la reliure de certains ouvrages qui ont besoin d’une simple consolidation. Il est même arrivé qu’ils les proposent gracieusement à des bibliothèques qui ont une politique active en matière de reliures (acquisitions, expositions…). Ainsi, l’an dernier, la Maison Jean Vilar à Avignon (antenne de la BnF) s’est elle vue offrir par une poignée d’artistes-relieurs une série de reliures de conservation sur des livrets du Théâtre national populaire.
La physionomie de l’ouvrage à relier, son architecture, seront cela dit décisives pour que le relieur opte pour telle ou telle structure. Nous avons recensé pas moins d’une douzaine de structures différentes dans le domaine de la reliure contemporaine : de la reliure traditionnelle à la reliure orientale en passant par la reliure à la bradel, la reliure à plats rapportés, la reliure à plats souples, la reliure accordéon, la reliure à plats articulés, la reliure à structure apparente, la reliure à cahier unique… avec souvent des variantes pour chacune de ces structures : ainsi pour ne prendre qu’un exemple, celui de la reliure traditionnelle, on peut opter pour une reliure en plein avec un seul matériau de couvrure, un demi à bandes, à coins (cuir et papier), à encadrement, à nerfs… Le choix de la structure sera donc conditionné par le type de livre que l’on souhaite faire relier (ses dimensions, son épaisseur, la qualité de son papier, sa structure, son état, son ancienneté…), mais aussi par l’usage que l’on voudra en faire (livre destiné à la consultation, à des prêts pour des expositions, etc.), enfin par l’enveloppe budgétaire dont on dispose. Ces différents points devront être débattus avec le relieur professionnel qui le plus souvent donne des conseils avisés à ses clients.
Le choix du relieur est donc extrêmement important lorsque l’on souhaite faire relier un livre de valeur. Aujourd’hui, un grand nombre d’artisans relieurs possèdent de solides connaissances en matière technique mais également dans le domaine de la conservation. Il conviendra de s’en assurer en prenant connaissance de leur cursus. Pour prendre l’exemple de la France, un relieur diplômé de l’École Estienne, ou de l’École de la Cambre, et ayant suivi des stages dans des écoles spécialisées comme l’Atelier d’Arts Appliqués du Vésinet, offre une garantie en matière de compétence technique. Toutefois, il est toujours plus prudent de se rendre à l’atelier du relieur et de demander à voir les travaux réalisés ou en cours de réalisation. Quant au talent artistique du relieur, on peut rapidement juger de celui-ci en comparant ses œuvres à d’autres, par exemple dans le cadre d’expositions qui sont de plus en plus nombreuses en Europe, que celles-ci soient organisées par les institutions elles-mêmes ou par des associations comme les Amis de la Reliure d’Art. Il va sans dire que le choix pour tel ou tel relieur est également soumis à une part de subjectivité.
Du choix du relieur dépendra en outre le coût de la reliure. Les plus grands noms de la reliure actuelle peuvent parfois proposer des prix élevés mais ce n’est plus systématiquement le cas comme autrefois où une reliure signée par Paul Bonet pouvait atteindre des sommets ! Le simple fait d’avoir alléger le travail de la dorure qui se limite aujourd’hui bien souvent au titrage, a permis de diminuer les coûts de réalisation d’une reliure. Les reliures de Paul Bonet, pour prendre à nouveau cet exemple, nécessitaient en effet un travail de dorure, confié à des spécialistes, qui pouvaient exiger plusieurs jours voire plusieurs semaines de travail.
On peut aujourd’hui aisément faire relier un ouvrage à moindre coût (quelques centaines d’euros) mais également lui consacrer un budget important (quelques milliers d’euros) en fonction de sa dimension et de la complexité de réalisation de la reliure.
L’institution qui dispose d’un budget limité, pourra même se contenter d’une reliure de conservation voire d’une boîte de conservation, qui pourra répondre à des besoins urgents (transport de l’œuvre, exposition, consultation…).
Destinée à protéger un ouvrage mais aussi à le sublimer, la reliure artistique est face à un paradoxe : celui de conserver une œuvre, l’ouvrage en l’occurrence, tout en rendant visible celle-ci. Toutefois, lorsque livre et reliure sont en parfaite osmose, est-il encore légitime de dissocier l’un et l’autre ? Ne forment-ils pas une œuvre unique, à part entière, qui doit être considérée comme une oeuvre d’art propre à être exposée ? Pendant longtemps, la reliure a été rangée parmi les arts décoratifs au même titre que la céramique, le textile, le bois, le verre… relevant ainsi d’un artisanat mais aussi d’un art de création. A la différence des autres disciplines, la reliure d’art, art visuel par excellence, ne peut être dissociée de l’objet qu’elle recouvre et qu’elle est sensée protéger et embellir. C’est la raison pour laquelle, elle est souvent comparée à la haute couture qui a pour vocation d’habiller et de sublimer le corps de la femme et de l’homme. Du reste, ne parle-t-on pas d’un corps d’ouvrage pour désigner l’ouvrage prêt à être paré ? Et de coiffe, de dos, de tranche de tête, de nerfs… pour désigner certaines parties de la reliure ?
Comparée à un vêtement, à une parure, la reliure tend à donner une épaisseur voire un surcroît d’existence au livre, et peut même dans certains cas hisser ce dernier au rang d’œuvre d’art. Par le livre un texte passe à l’existence, se donne pour visible. Ne pourrions-nous pas en dire autant de la reliure en ce qui concerne le livre ? Toute reliure est une interprétation d’un livre, de son contenu, de son ambiance, de « l’essence de son parfum » comme l’a fort justement souligné le grand artiste-décorateur Pierre Legrain. Elle acquiert dès lors le statut d’œuvre d’art, en ce sens où elle est le fruit d’une véritable création artistique tout autant que le livre qu’elle habille, et forme avec celui-ci un ensemble indissociable, une œuvre à part entière. Livres et reliures sont de nos jours liés par un même destin : celui de donner au texte et à ses illustrations la postérité qu’ils méritent.
La reliure d’art, devenue véritable art de création au cours du XXe siècle, a donc définitivement acquis son statut d’œuvre d’art muséale. L’émergence dans la seconde moitié du XXe siècle, d’expositions qui lui sont spécialement dédiées, en même temps que l’apparition d’institutions spécialisées, relevant à la fois de la bibliothèque et du musée, telle que la Bibliotheca Wittockiana à Bruxelles, témoignent amplement de cette évolution de la reliure vers un objet destiné à être montré et à être exposé. C’est là tout le caractère ambigu de la reliure contemporaine, à la fois couvrure et parure d’un livre, élément de protection tout autant que de décoration. Au-delà de son aspect visuel et esthétique, toute reliure d’art possède donc ses spécificités liées à l’architecture du livre et à son contenu. C’est là toute la richesse de cet art unique en son genre.