Un artiste – deux expositions
Atelier-musée de l’imprimerie, jusqu’au 10 mars 2024
Cinq Bleuets
Dans la maison familiale à Authon-du-Perche, Jean-Claude Morice découvre une carte postale avec ces cinq Bleuets, qui l’attendent dans une petite boîte en fer.
Cinq soldats, photographiés en 1917, moment où la guerre bascule.
Cette carte postale est adressée à Reine, envoyé d’un « lieu qu’on ne peut pas dire », par Louis Guéret, l’un de ces cinq Bleuets, de la classe 17, tous équipés de pied en cap : brodequins cloutés, capotes bleu horizon à boutonnage croisé…
La carte postale, apparue, en Autriche, en 1869, connaît son apogée en France, durant les deux premières décennies du XXe siècle, avec des tirages impressionnants : 500 000 exemplaires voire plus pour certains modèles. Pendant la Grande Guerre, elle est LE moyen pour donner des nouvelles aux familles, les réconforter et se réconforter.
Au fil des années, les techniques d’impression des cartes postales évoluent : la phototypie jusqu’en 1940, l’héliogravure de 1930 à 1970 puis l’offset à partir de 1970.
« La découverte de cette carte a été un véritable choc pour l’artiste », confie Louis Morice, fils du plasticien Jean-Claude Morice, comme si l’artiste avait eu la sensation que ces cinq « gosses » lui réclamaient des comptes. Alors, naît cette envie, ce besoin d’offrir une vie d’avant et un avenir, du moins un futur, à ces cinq Bleuets. À travers eux, Jean-Claude Morice ne souhaite pas questionner l’histoire avec un grand H, ses chronologies, ses actes de bravoure ou d’insoumission, mais celle quotidienne vécue par ces cinq soldats, qui n’ont pas encore vingt ans.
L’exposition Cinq Bleuets présente le travail conduit par Jean-Claude Morice pour rendre à ces cinq jeunes hommes leur raison d’être, puisqu’ « hormis cette photographie, il ne reste rien, sinon l’obsédante idée de leur avalement dans la boucherie des tranchées ».
Ils s’appelaient Louis, André, Marcel, Gustave et Anselme. Avant, ils étaient instituteur, ouvrier agricole, menuisier, cultivateur ou encore imprimeur. L’imprimeur, celui qui reproduit le texte et l’image, celui qui transmet et préserve la mémoire de ce qui pourrait disparaître.
Cinq Bleuets est aussi un travail d’édition avec l’artiste et d’impression dans les ateliers du musée, sous l’œil de Michel Grandidier.
Les Gueules Cassées
À la fin de la première guerre mondiale, la Grande Guerre, quatre millions de français sont blessés dont 500 000 au visage. Des blessures lourdes, terribles, horribles, qui font des Gueules Cassées, expression inventée par le Colonel Picot, lui-même blessé au visage, le symbole des douleurs provoquées par ce conflit.
Les Gueules Cassées devient rapidement le nom usuel pour désigner les membres de l’Union des Blessés de la Face et de la Tête – UBFT – fondée en 1921 dont l’objet est d’apporter une aide « fraternelle, morale et matérielle » aux anciens combattants meurtris et défigurés. L’UBFT organise des galas et dîners afin de lever des fonds pour soutenir ces hommes sans ressource ni pension d’invalidité… et avec d’autres associations solidaires imaginent une souscription assortie d’une tombola, dont le succès pousse l’État à créer par une loi des finances, en 1933, la Loterie nationale, aujourd’hui le Loto de la Française des Jeux (FDJ). L’UBFT est toujours actionnaire de la FDJ.
Ces visages déchirés, arrachés interrogent Jean-Claude Morice, professeur agrégé d’arts plastiques et artiste – dont le travail personnel s’est établi sur plusieurs décennies, empruntant successivement à différents thèmes. Durant trois années, il est parti à la secrète rencontre des Gueules Cassées pour nous livrer, aujourd’hui, une série d’images exprimant les blessures subies et leur « réparations », souvent hésitantes, parfois expérimentales et toujours pour permettre aux blessés une reconstruction d’eux-mêmes.
Jean-Claude Morice propose de revenir sur l’histoire douloureuse de la Grande Guerre en redonnant existence à ces hommes sans visage dans un face-à-face troublant de simplicité et de sensibilité. Les Gueules Cassées, peintures, collages, croquis qui nous transmettent une infinie souffrance physique, psychique, morale, l’insupportable destin de ces hommes meurtris dans leur chair et dans leur identité.
Avec cette série d’images, Jean-Claude Morice présente un lent et long travail de recherche, montrant des hommes douloureusement marqués, remodelés et parfois réparés. Mais guérit-on de la guerre ?
Atelier-musée de l’imprimerie
70, av. du Général Patton
45330 Malesherbes
Le Malesherbois – France